Souvent perçus comme de simples incidents isolés, les accidents du travail sont en réalité le fruit d’une chaîne complexe de facteurs interconnectés. C’est précisément à ce niveau qu’intervient l’arbre des causes, une méthode pratique développée par l’INRS pour déchiffrer les différents facteurs qui mènent à l’accident. Son principe ? Représenter et organiser les faits qui ont participé à l’accident, de manière logique, en remontant du résultat aux causes premières. Chaque étape de construction de cet arbre est une question posée : quels éléments ont permis que cet accident se produise ?

Mais l’arbre des causes ne se limite pas à un simple outil d’analyse post-accident, c’est un puissant moteur de prévention, permettant de dégager des stratégies pour éviter de futurs incidents. Comment ? En mettant en lumière les scénarios d’accidents, facilitant ainsi l’élaboration de mesures préventives sur mesure. In fine, l’objectif est de préserver l’intégrité physique, mais aussi mentale, des salariés. Décryptage !

L’arbre des causes (ADC), pilier de la prévention dans le milieu professionnel

Méthode analytique, l’arbre des causes (ADC) s’inscrit au cœur d’une démarche qui embrasse des enjeux à la fois humains, économiques et juridiques. Sur le plan humain et social, l’ADC aborde la problématique sous un angle sensible : réduire les souffrances physiques et psychologiques des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Il s’agit également de s’attaquer aux défis d’exclusion et de reclassement professionnel, tout en préservant le climat social et l’image de l’entreprise, souvent ébranlés par ces événements.

D’un point de vue économique, l’ADC permet de mettre en lumière le coût total des accidents du travail, intégrant à la fois les coûts directs et les coûts indirects, ces derniers pouvant parfois égaler, voire dépasser les premiers. Ces coûts englobent les dépenses de recrutement, de formation, la baisse de productivité, et l’absentéisme, soulignant ainsi l’impact financier significatif pour l’entreprise et la société. Sur le terrain juridique, l’ADC revêt encore plus d’importance, dans un contexte où le non-respect des obligations de sécurité, pesant sur les épaules de l’employeur, peut entraîner des conséquences graves. Ces conséquences vont de la responsabilité civile pour faute inexcusable à la responsabilité pénale en cas de délit de blessure ou d’homicide involontaire.

Côté pratique pour le manager moderne, il faut savoir que la mise en œuvre de l’ADC s’effectue en plusieurs étapes : diagnostic de l’environnement de travail, analyse et évaluation des risques, élaboration et déploiement d’un plan d’actions, suivi rigoureux. L’identification des risques se fait en se basant sur l’analyse d’accidents du travail et d’incidents divers. En utilisant l’ADC, on parvient alors à décomposer et comprendre les accidents, permettant ainsi une prévention plus ciblés et efficace.

Typologies et méthodologies d’analyse des accidents du travail

Dans le domaine de la recherche sur la sécurité au travail, les analyses des accidents se classent principalement en deux catégories, à savoir quantitative et qualitative :

  • L’approche quantitative repose sur l’exploitation de données statistiques, et nécessite l’examen d’un large éventail d’accidents pour obtenir une vision globale des risques ;
  • L’analyse qualitative se concentre sur l’examen approfondi de cas spécifiques d’accidents, souvent en utilisant la méthode de l’arbre des causes.

Les fondements et applications de l’analyse quantitative dans la prévention des accidents du travail

L’analyse quantitative des accidents du travail constitue une approche fondamentale dans la compréhension globale des risques professionnels. Mais pour être efficace, cette méthodologie exige l’examen d’une vaste gamme d’incidents, soulignant ainsi l’importance d’une traçabilité rigoureuse des accidents au sein des entreprises. Le cœur de cette analyse ? Il repose sur l’utilisation d’indicateurs statistiques, qui permettent de dresser un panorama des risques d’accidents, et de définir des priorités de prévention à l’échelle de l’organisation. Cela dit, il est important de noter que, prise isolément, cette méthode ne suffit pas pour un diagnostic complet de la santé et de la sécurité au travail, ni pour l’élaboration d’une politique de prévention exhaustive.

D’autre part, les indicateurs statistiques employés dans l’analyse quantitative incluent, entre autres, le nombre d’accidents avec arrêt, le nombre de jours d’arrêt, et le nombre de soins dispensés. Des mesures spécifiques telles que le taux de fréquence, l’indice de fréquence et le taux de gravité, calculés respectivement par le nombre d’accidents avec arrêt rapporté aux heures travaillées et au nombre de salariés, ainsi que par le nombre de jours d’arrêt rapporté aux heures travaillées, sont également couramment utilisées pour quantifier les risques. Pour affiner davantage cette analyse, il est possible de classifier les accidents selon divers critères, tels que le type et le siège des lésions, la nature de l’accident, ou encore le lieu de survenance. Des éléments supplémentaires comme la fonction du salarié, le type de matériel utilisé, l’âge, le genre, la qualification professionnelle, l’ancienneté au poste, l’horaire de travail, et le jour de survenance de l’accident, peuvent être incorporés pour enrichir cette analyse.

Enfin, une représentation graphique de ces indicateurs est fortement recommandée pour optimiser leur analyse. Cette approche visuelle améliore la compréhension et la communication des données au sein de l’entreprise, facilitant ainsi la prise de décision et l’élaboration de stratégies de prévention pertinentes.

La méthode de l’arbre des causes dans l’analyse qualitative des accidents du travail

Depuis les années 1970, l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) a mis au point et promeut activement la méthode de l’arbre des causes pour l’analyse qualitative des accidents du travail. Cette approche systémique, qui considère l’accident comme le symptôme d’un dysfonctionnement au sein de l’entreprise, brille avant tout par sa capacité à interroger l’ensemble des composantes du système, qu’elles soient techniques, organisationnelles ou humaines, ainsi que leurs interactions. Autrement dit, cette méthode met en exergue la notion de pluricausalité des événements non souhaités, incluant non seulement les accidents, mais aussi les incidents, les « presqu’accidents », et même les conflits ou malaises.

Le gros avantage de la méthode de l’arbre des causes ? Il réside dans son application, qui dépasse la simple analyse de la situation de travail ou du comportement de l’opérateur. En effet, l’ADC vise à remonter aux causes profondes, explorant les niveaux les plus élevés de l’organisation du travail et du fonctionnement global de l’entreprise. En facilitant un débat ouvert et collectif sur l’accident, cette méthode permet de passer de la question « Pourquoi l’accident s’est-il produit ? » à « Que faire pour éviter sa récurrence ? ». Ce processus favorise l’identification d’un éventail plus large de mesures de prévention, allant au-delà des simples mesures de protection individuelles et du rappel des consignes de sécurité.

Autre atout majeur de la méthode de l’arbre de causes : sa capacité à communiquer efficacement les résultats de l’analyse, grâce à une représentation graphique claire et compréhensible.

Les grands principes de la méthode de l’arbre des causes

La méthode de l’arbre des causes, appliquée à l’analyse des accidents du travail, repose sur des principes clés qui en définissent l’approche et l’efficacité. Au cœur de cette méthode se trouve le développement d’une compréhension objective du processus ayant mené à l’accident. Dans le détail, cette démarche se distingue par son refus de chercher des coupables, privilégiant plutôt une analyse factuelle et exempte de tout jugement de valeur.

L’accent est mis sur la mise en évidence des faits, plutôt que sur les interprétations subjectives. En effet, la méthode s’attache à remonter le fil des événements le plus en amont possible, cherchant à identifier les causes premières qui ont conduit à l’accident. Cela implique une démarche rigoureuse respectant une succession d’étapes définies, notamment le recueil des données et la construction de l’arbre des causes, suivi par la proposition d’actions correctives.

Un aspect distinctif de cette méthode est l’utilisation d’un cadre d’observation qui simplifie la situation de travail en plusieurs composantes. Ce cadre comprend « I » pour l’individu ou les opérateurs impliqués, « T/A » pour la tâche ou l’activité effectuée au moment de l’accident, « Ma » pour le matériel utilisé, et « Mi » pour le milieu, incluant l’environnement physique et psychosocial du lieu de travail.

Les phases clés de l’application de la méthode de l’arbre des causes

L’application de la méthode de l’arbre des causes à l’analyse des accidents de travail s’articule principalement autour de deux étapes :

  • La première étape se concentre sur la collecte minutieuse des faits et la construction progressive de l’arbre des causes. Cette phase s’effectue de manière itérative, où chaque élément de l’accident est examiné et intégré dans l’arbre, formant ainsi une représentation visuelle des causes et de leurs interconnexions ;
  • La seconde étape implique l’élaboration, la sélection et la mise en œuvre de mesures de prévention. Ces mesures sont directement liées aux faits identifiés dans l’arbre des causes.

Examinons tout cela un peu plus en détail.

Etape 1 : collecte des faits et construction de l’ADC

Recueil des faits 

Le recueil des faits se base sur deux sources principales d’informations : les observations sur l’environnement de travail (machines, outils, contexte, etc.) et les entretiens avec les parties impliquées (victime, témoins, encadrement, collègues). Ces informations doivent être collectées le plus tôt possible après l’accident, idéalement sur le lieu même de l’événement. Un fait, dans ce contexte, est défini comme une information ou une action observable, vérifiable, et exprimée de manière concise, sans interprétations, opinions, jugements de valeur, ou formulations négatives.

Identification des variations

Dans l’analyse des faits recueillis, il faut distinguer entre les « états » habituels et les « variations » inhabituelles. Les états sont les éléments constants qui, bien qu’ils contribuent à l’accident, ne déclenchent pas le processus menant à la blessure. Les variations, quant à elles, sont des écarts par rapport à l’habituel et constituent la clé de la dynamique de l’accident. Gardez à l’esprit qu’il est essentiel de recueillir un maximum de variations pour comprendre pleinement la spécificité de l’accident.

Construction de l’arbre des causes : règles pratiques 

La construction de l’arbre des causes débute par un questionnement logique et systématique, partant du dommage (fait ultime) et remontant aux causes. L’arbre est élaboré en posant pour chaque fait la question : « Qu’a-t-il fallu pour que ce fait se produise ? ». Les faits sont reliés entre eux par des liens logiques de type enchaînement, conjonction et disjonction, où l’opérateur « ET » joue un rôle clé.

Il est important de noter que l’arbre des causes n’est pas limitatif. En effet, de nouveaux faits peuvent être ajoutés au fur et à mesure de l’approfondissement de l’enquête, notamment lors de réunions de groupe d’analyse ou avec les représentants du personnel. Les relations de conjonction et de disjonction peuvent impliquer plusieurs faits, fournissant ainsi une vue complète et interconnectée des éléments qui ont conduit à l’accident.

Etape 2 : exploitation de l’ADC pour la prévention des accidents

Cette phase se caractérise par une approche collaborative et pluridisciplinaire, qui commence par la recherche et l’identification de mesures préventives potentielles, qui s’effectuent au sein d’un groupe composé d’individus aux compétences techniques et connaissances variées. Ce groupe a pour mission de développer des solutions qui ciblent chacun des faits identifiés dans l’arbre des causes, quelle que soit leur position. Cela implique une attention particulière non seulement aux faits immédiatement liés à l’accident, mais aussi à ceux en amont, contribuant indirectement à l’événement. Pour chaque fait établi, le groupe explore les moyens de l’éliminer ou de réduire son potentiel de risque. Dans ce processus, il est primordial de garder l’esprit ouvert, en ne rejetant aucune proposition sans examen préalable.

La structure logique de l’arbre des causes offre un avantage significatif : en supprimant même un seul fait pertinent, il est possible de prévenir la survenue de l’accident.

Evaluation et sélection des mesures de prévention : les critères 

La sélection des mesures de prévention dans le contexte de l’arbre des causes est un processus critique, relevant de la responsabilité de la direction de l’entreprise. Pour guider ce choix, des critères spécifiques sont établis afin d’évaluer l’efficacité et la pertinence de chaque mesure proposée :

  • Conformité à la réglementation : le premier critère à considérer est la conformité de la mesure avec la réglementation en vigueur. Une mesure non conforme ne peut être retenue, assurant ainsi que toutes les actions préventives adoptées sont légalement valides et conformes aux normes de sécurité ;
  • Stabilité dans le temps : une mesure efficace doit maintenir ses effets sur la durée. En d’autres termes, des solutions temporaires ou amovibles, comme une protection matérielle qui peut être enlevée, ne sont pas considérées comme stables et risquent d’être négligées avec le temps ;
  • Intégration dans le travail quotidien : si une mesure impose des contraintes superflues ou perturbe significativement le processus de travail, il y a un risque qu’elle soit progressivement abandonnée ;
  • Prévention du déplacement ou de la création de nouveaux risques : il faut s’assurer que la mesure de prévention ne déplace pas le risque ou n’en crée pas de nouveaux au sein de l’entreprise, que ce soit à un autre poste, dans une autre équipe ou un autre atelier ;
  • Portée de la mesure : bien entendu, plus la portée d’une mesure est étendue, plus elle est efficace. Les mesures applicables à différents postes ou ateliers, au-delà de ceux directement concernés par l’accident, sont particulièrement valorisées ;
  • Impact sur les causes profondes : les mesures qui ciblent les causes profondes des accidents sont préférables à celles qui ne traitent que les symptômes ou les effets immédiats. En agissant sur les facteurs en amont, il est possible d’éliminer complètement les situations dangereuses ;
  • Délais d’application : la rapidité de mise en œuvre d’une mesure est un critère important. Toutefois, l’application immédiate d’une solution de portée limitée ne doit pas empêcher la conception de stratégies plus durables et globalement plus efficaces.

Application des mesures de prévention à travers l’arbre des causes 

Dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail, l’arbre des causes permet d’isoler des interventions préventives et curatives à divers niveaux de l’arbre, offrant ainsi une gamme complète d’options pour la gestion des risques.

Il est couramment observé que la réponse immédiate à un accident se concentre souvent sur l’implémentation de mesures de prévention basiques, telles que la protection individuelle ou l’émission de consignes spécifiques. Cependant, une analyse approfondie via l’arbre des causes révèle une variété de leviers d’action. Certains de ces leviers, répondant aux critères de prévention efficace, doivent être privilégiés pour leur capacité à s’aligner sur les principes généraux de prévention. Et ce sont précisément ces principes qui guident l’employeur dans l’élaboration d’une stratégie globale pour la gestion de la santé et de la sécurité au travail.

Retenez ceci : l’efficacité de ces mesures de prévention, déterminée par leur conformité aux critères établis, renforce l’approche préventive au-delà des solutions réactives et immédiates.

Contribution de l’arbre des causes à l’analyse proactive des risques en milieu professionnel

L’examen détaillé de chaque accident révèle certains faits, ou ensembles de faits, qui, lorsqu’exprimés de manière générale, peuvent être identifiés dans d’autres situations de travail, au-delà de la circonstance spécifique de l’accident. Par exemple, si une machine se révèle dangereuse en raison d’un manque de protection, l’action prioritaire ne devrait pas se limiter à cette seule machine, mais également s’étendre à d’autres équipements similaires.

Ces faits généralisés sont désignés comme des « facteurs potentiels d’accident » (FPA). La formulation d’un FPA implique de définir succinctement une catégorie de risques à laquelle un fait spécifique appartient, une approche qui permet de transformer des observations spécifiques en problématiques générales. La notion de FPA est d’autant plus pertinente qu’elle permet d’intégrer des informations issues d’analyses post-accident dans des évaluations de risques effectuées a priori. Ces analyses rétrospectives, enrichissant la connaissance des risques, acquièrent ainsi une dimension prospective.

Par ailleurs, chaque analyse d’accident ou d’incident doit contribuer à la mise à jour du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Cette mise à jour devrait s’articuler autour des modifications nécessaires pour une meilleure maîtrise des risques, incluant l’identification, l’estimation du risque, et l’élaboration du plan d’action.