Face à la crise persistante du travail, il devient impératif de réévaluer les pratiques managériales. Brigitte Nivet, professeure de management à l’ESC Clermont et chercheuse associée au Cereq, souligne l’importance de passer d’une logique de contrôle à une approche axée sur le débat, l’écoute et la démocratie au sein des entreprises. Cette transformation est essentielle pour répondre aux défis économiques et sociaux de notre époque.

La déconnexion managériale : source de malaise au travail

La crise du travail, caractérisée par un mal-être croissant et une perte de sens parmi les salariés, trouve en partie son origine dans les méthodes de management actuelles. Depuis trente ans, Brigitte Nivet observe une déconnexion alarmante entre les managers et la réalité du travail quotidien. Trop souvent, le management se focalise sur des objectifs à atteindre, des procédures à suivre et des résultats à contrôler, négligeant ainsi la dimension humaine et imprévisible du travail. Ce mode de gestion, ancré dans une vision mécaniste, tente de tout encadrer et surveiller, ignorant les imprévus, les interactions sociales et la subjectivité inhérente au travail.

La financiarisation des entreprises depuis les années 1980 a exacerbé cette déconnexion. Les pratiques managériales inspirées du taylorisme, combinées à la standardisation du lean management, ont engendré un climat où les salariés se sentent de plus en plus méprisés et déconnectés des décisions qui influencent leur quotidien. Cette approche, renforcée par l’omniprésence du numérique, fragmente le travail et appauvrit l’expérience des travailleurs en évacuant toute forme de subjectivité et de créativité.

Vers un nouveau paradigme managérial : l’importance de l’écoute et de la reconnaissance

Pour sortir de cette impasse, Brigitte Nivet propose de repenser la formation des managers en intégrant les sciences humaines telles que la sociologie, la philosophie ou la psychologie. Ces disciplines permettent de mieux comprendre la complexité du travail et d’encourager une gestion plus ancrée dans la réalité quotidienne des salariés. Plutôt que de se fier à des « bonnes pratiques » universelles, il s’agit de développer une intelligence situationnelle, de reconnaître la valeur des équipes et d’accepter que les travailleurs, confrontés aux réalités du terrain, sont souvent les mieux placés pour proposer des solutions efficaces.

Malgré une rhétorique croissante autour de modes de management plus humains, basés sur l’autonomie et la confiance, les entreprises peinent encore à opérer de véritables transformations. Les initiatives post-Covid, bien que prometteuses, ont souvent été limitées par un retour rapide aux anciennes pratiques de contrôle et de prescription. De plus, les entreprises continuent de privilégier des réponses superficielles à la crise du travail, telles que l’installation de gadgets de bien-être, au détriment d’une véritable refonte des conditions de travail.

Pour avancer, il est crucial de rétablir un dialogue social authentique, en écoutant les signaux d’alerte émis par les salariés et en revalorisant le rôle des représentants du personnel. Une justice dans la reconnaissance et la rémunération est également nécessaire pour reconstruire la confiance au sein des entreprises. Enfin, dans le contexte de la transition écologique et sociale, il devient indispensable de donner aux travailleurs les moyens d’agir collectivement pour anticiper les changements à venir et construire des organisations résilientes.