L’Inde sera-t-elle le prochain géant économique mondial ? La presse spécialisée semble quasi unanime, plusieurs experts prédisant, non sans acuité et chiffres à l’appui, que l’Inde est sur une pente ascendante. Désormais pays le plus peuplé au monde, l’Inde avait d’ailleurs présidé, en septembre dernier, la réunion annuelle du G20, comme un symbole de son nouveau statut de puissance économique mondiale. Décryptage !
La « nouvelle Chine »
Le prochain sur la liste des géants émergents de l’Asie ? Il semblerait bien que ce soit l’Inde. En tout cas, plusieurs signes pointent dans cette direction… Le premier ? En septembre 2019, le gouvernement indien a réduit le taux de l’impôt sur les sociétés de près de 10 points, le ramenant à 25 %, l’objectif étant de renforcer une économie déjà très dynamique. En outre, afin de stimuler les investissements directs étrangers, la nouvelle politique prévoit un taux d’imposition des sociétés encore plus bas (17 %), pour les nouveaux investissements dans le secteur manufacturier. Résultat des courses : l’Inde a désormais l’un des taux d’imposition les plus bas de la planète pour l’industrie manufacturière, allant jusqu’à rivaliser avec le taux d’imposition actuel de la Chine, qui est de 25 %, des taux dont rêveraient la plupart des entrepreneurs en France !
Chine et Inde : trajectoires croisées de deux mastodontes économiques
A l’heure où l’Inde tournait au ralenti, la Chine prenait les devants dès 1979, en mettant en œuvre des réformes de marché, en s’ouvrant aux investissements occidentaux et en adoptant les principes d’une économie de marché gérée, mais plus libre. Impensable jusque-là pour un pays ouvertement communiste… Pour mettre tout cela en perspective, il est utile de rappeler qu’en 1992, le PIB de la Chine s’élevait à 427 milliards de dollars, tandis que celui de l’Inde était de 288 milliards de dollars. A partir de cette date, l’écart de PIB entre les deux pays s’est considérablement creusé, la Chine devenant la grande économie à la croissance la plus rapide au monde, avec une croissance annuelle du PIB de plus de 10 % en moyenne entre 1992 et 2014. Cette croissance ultra rapide a permis à environ 800 millions de Chinois de sortir de la pauvreté, tout en devenant la deuxième économie mondiale, derrière les Etats-Unis.
Jusqu’à l’accession au pouvoir du Premier ministre Modi, l’Inde n’avait pas été en mesure d’adapter sa politique à son désir de croissance économique. Car avant la récente poussée des réformes économiques et de la libéralisation du commerce, les politiques de l’Inde maintenaient l’économie du pays dans un état de stagnation, une économie massivement inefficace et relativement isolée du reste du monde. Mais au cours du premier mandat du Premier ministre Modi et après sa réélection, les choses ont radicalement changé… En bref, les réformes de l’administration ont réduit les obstacles administratifs et la bureaucratie, tout en stimulant l’investissement intérieur indien et l’investissement direct étranger.
Par conséquent, l’Inde, qui était historiquement une économie agraire, s’est transformée en un centre mondial des technologies de l’information et de la communication (TIC). La main d’œuvre qualifiée, compétitive en termes de coûts, anglophone et techniquement compétente qui a permis à l’Inde de dominer le secteur des TIC est aujourd’hui à la base de la croissance de l’industrie manufacturière.
Alors que la Chine poursuit sa transition du statut d’« usine du monde » à celui de «fournisseur de technologie du monde », un environnement manufacturier de plus en plus attractif et la promesse d’un développement de la demande intérieure des consommateurs « à la chinoise » font de l’Inde une plaque tournante de l’industrie manufacturière mondiale. Si l’on ajoute aux avantages de l’Inde les graves conséquences de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, il n’est pas surprenant que le pays devienne une destination de plus en plus attrayante pour l’industrie manufacturière mondiale.
Objectif : un PIB de 5 000 milliards de dollars
Il aura fallu près de 60 ans à l’économie indienne pour atteindre la barre des 1 000 milliards de dollars de PIB. Au cours des dernières années, les réformes menées par le gouvernement ont permis d’ajouter 1,8 trillion de dollars pour atteindre 2,8 trillions de dollars. C’est ainsi que le pays a dépassé la Chine en tant que grande économie à la croissance la plus rapide au monde, et est désormais la 5e économie mondiale. Prochaine étape : devenir le nouveau moteur de croissance de l’Asie !
Pour expliquer cette mue, un petit retour en arrière s’impose : en 2014, le gouvernement indien a lancé l’initiative « Make in India » pour faire de l’Inde un centre manufacturier mondial. Les objectifs ambitieux du gouvernement étaient de porter la part de l’industrie manufacturière dans le PIB à 25 % à l’horizon 2022 et d’atteindre une économie de 5 000 milliards de dollars en 2024. L’initiative Startup India a été lancée pour construire un écosystème solide afin d’encourager l’innovation et les startups et de stimuler davantage la croissance économique. Le gouvernement a également entrepris une série de processus visant à améliorer la facilité de faire des affaires, ce qui a permis à l’Inde de passer de la 142e place au 63e rang lors du lancement de l’initiative en 2014. En outre, la politique d’IDE a été simplifiée et de plus en plus libéralisée, ce qui a permis à l’Inde à recevoir 64 milliards de dollars d’IDE en 2018-2019, son total le plus élevé jamais atteint. Pour couronner le tout, au cours des cinq dernières années, les investissements étrangers entrants ont contribué à hauteur de 286 milliards de dollars à l’économie indienne.
Le pays a également su se montrer opportuniste… Pour tirer parti des tensions commerciales sino-américaines, un comité de haut niveau mis en place par le bureau du Premier ministre communique de manière proactive avec les entreprises mondiales, notamment les géants de la technologie Apple, Cisco, Foxconn, Intel, Pegatron, Samsung, Siemens, Wistron et leurs fournisseurs. Le comité met en avant le marché intérieur indien de 1,3 milliard d’habitants, l’urbanisation croissante et l’essor de la classe moyenne. En outre, l’infrastructure technologique croissante de l’Inde, son réservoir de main-d’œuvre qualifiée pour la fabrication, ses centres de R&D et d’innovation sont autant d’arguments qui incitent les multinationales à considérer l’Inde comme un centre mondial de fabrication et d’exportation de produits électroniques.
A ce niveau, il faut savoir que l’Inde s’est fixé pour objectif de créer un écosystème de fabrication électronique d’une valeur de 400 milliards de dollars d’ici à 2025, et a déjà publié une nouvelle politique en matière d’électronique afin de stimuler les activités de fabrication. Les principaux fabricants de smartphones, Samsung, Oppo et Xiaomi, produisent désormais leurs appareils entièrement en Inde. Pour sa part, Apple a aussi fabriqué ses iPhones 6S et 7 dans le pays, et considère l’idée d’exporter des iPhones « Made in India ». Sans surprise, ces avancées majeures ont retenu l’attention de la communauté mondiale, et notamment de la presse, La Revue des Deux Mondes ayant sorti un dossier spécial sur l’Inde, sobrement intitulé : « L’Inde, le nouveau géant : faut-il en avoir peur ? ».
L’ascension « silencieuse » de l’Inde
Si le ralentissement économique « surprise » de la Chine a tiré la sonnette d’alarme un peu partout dans le monde, il a aussi mis en lumière la montée en puissance de l’Inde. La preuve en chiffres : au second trimestre 2023, l’économie indienne a enregistré un taux de croissance exceptionnel de 7,8 %, et le pays a récemment franchi un nouveau cap en devenant le premier à faire atterrir un vaisseau spatial sur le pôle sud de la lune, potentiellement riche en eau. Et contrairement à la Chine, l’ascension de l’Inde ne s’est pas accompagnée d’une politique étrangère de plus en plus affirmée, ou d’un appétit pour le territoire d’autres pays…
Et puis il y a le poids géopolitique, économique et culturel de l’Inde, qui s’accroît au même rythme que son empreinte mondiale. Le « déclin » (tout relatif) de la Chine, comme certains ont commencé à appeler la fin du boom économique que ce pays a connu pendant quatre décennies, ouvre de nouvelles perspectives à l’économie indienne, ainsi qu’à d’autres pays en développement et émergents.
L’Inde devance la Chine… démographiquement !
Au début de l’année en cours, l’Inde a franchi une nouvelle étape en dépassant officiellement la Chine, qui était le pays le plus peuplé du monde depuis plus de 300 ans. Alors que la diminution et le vieillissement rapide de la population chinoise risquent d’entraver la croissance économique et de freiner les ambitions géopolitiques du pays, l’Inde – l’un des pays les plus jeunes du monde, avec un âge médian de 28,2 ans – est en passe de récolter un énorme dividende démographique.
Cela dit, la véritable force motrice de l’émergence de l’Inde en tant que grande puissance mondiale est sa croissance économique rapide. Bien que le produit intérieur brut de l’Inde soit encore inférieur à celui de la Chine, le pays est actuellement la grande économie dont la croissance est la plus rapide au monde et devrait représenter 12,9 % de la croissance mondiale au cours des cinq prochaines années, dépassant la part des Etats-Unis qui est de 11,3 %.
Et en plus d’alimenter un boom de la consommation, la population jeune de l’Inde stimule également l’innovation, comme en témoignent l’économie de l’information de classe mondiale du pays et son récent alunissage, que le pays a réussi à réaliser malgré un budget spatial national équivalant à environ 6 % de ce que les Etats-Unis dépensent pour les missions spatiales. Ayant déjà dépassé le Royaume-Uni, son ancien colonisateur, le PIB de l’Inde est sur le point de dépasser celui du Japon et de l’Allemagne pour devenir la troisième économie mondiale d’ici 2030, derrière les Etats-Unis et la Chine.
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